Le Gobe-mouches

  • Qui suis-je?

    • Par 8r-b
    • Le 03/04/2019

    Bonjour à tous!

         Les Français m'appellent Le Gobe-mouches, mes concitoyens El Papamoscas. Il va sans dire qu'il s'agit là d'un sobriquet populaire. Mon vrai nom, vous demandez-vous? Non, je ne le dévoilerai pas, ni ma date de naissance. Que vous êtes curieux! Mais avez-vous remarqué que je suis le portrait craché de… Non, non, non! Motus et bouche cousue! Un peu de mystère me sied à ravir!

         Pour certains fugaces visiteurs de la cathédrale de Burgos, je suis seulement une drôle de marionnette automate qui fait sonner une clochette depuis des lustres.

         Or, vous devez savoir que j'ai plus d'une corde à mon arc. Je maîtrise avec brio l'écoulement du temps, mon atout majeur, mais je sais également lire la musique. En outre, je recueille toutes les informations qui circulent dans la nef, les chapelles, le cloître et le musée, grâce à ma vue de lynx et mon ouïe très fine. Je parviens même à être au courant de ce qui se passe dans la ville. Et ceci depuis plus de cinq cents ans! En effet, j'ai été un témoin privilégié de nombreux événements historiques, j’ai connu une ribambelle de célébrités, j’ai vu de fastueux enterrements, des mariages magnifiques, quelques épisodes heureux mais aussi d’autres sanglants...

         Cela fait de moi le meilleur chroniqueur de la ville. Peu modeste, moi? Comment le serais-je? Voyons, je hante la cathédrale de Burgos, le plus beau monument que je connaisse! La preuve, je ne laisse personne indifférent. La plupart des visiteurs restent bouche bée quand ils m'aperçoivent. Même Victor Hugo se trouva ébahi en me voyant…

         Aujourd'hui, je sors de mon isolement à la recherche d’un peu de compréhension, de reconnaissance et d’affection. Je vous raconterai périodiquement des événements qui se sont déroulés dans la ville pour qu'ils ne soient pas cachés par le voile de l'oubli ni enterrés au fil du temps.

    (8rB remercie JJA)

    El papamoscas


     

  • Paix à son âme

         Bonjour les internautes,

         Bien que je ne l'aie pas connu en chair et en os et que nous n'ayons aucun point en commun, je voue une admiration sans borne au Cid Campeador. Sa bravoure et ses prouesses ont fait couler beaucoup d'encre. La figure de ce personnage historique mythique a inspiré le poème épique El Cantar del Mío Cid, un chef-d'oeuvre de l’ancien castillan du Moyen Âge. Si pendant sa vie il est devenu célèbre par son courage dans les champs de bataille, après sa mort, il a participé à des évènements également extraordinaires, notamment avec les péripéties de ses ossements. Pour ne citer qu'un exemple, il a gagné sa dernière bataille déjà cadavre attaché à son cheval avec son épée et son armure. Seulement avec le pouvoir de sa présence. Que diable ! Cela s’appelle vraiment faire des heures supplémentaires au travail!

         Permettez-moi de vous rafraîchir la mémoire. Après sa mort en 1099 à Valence, les restes du valeureux guerrier ont été ballottés par monts et par vaux, péniblement nomades pour longtemps, c'est le moins que l'on puisse dire. Et ce, jusqu'au XXème siècle! Déjà, en 1102, selon la volonté de son époux, Chimène les a ramenés au monastère de Saint-Pierre de Cardeña. Mais c'est au cours du XIXème siècle qu'ils ont subi le plus grand nombre de profanations et de spoliations. De fait, les troupes napoléoniennes ont ouvert le tombeau du Cid et de son épouse pour le mettre à sac sans vergogne. Heureusement, le général Thiébault, gouverneur de Burgos à l'époque, a voulu sauver ce qui restait en le faisant déposer dans un monument érigé à cet effet sur la promenade de l'Espolón en mai 1809. Quinze ans plus tard, les dépouilles ont repris le chemin de Saint-Pierre de Cardeña. Puis, entre 1842 et 1921, elles ont été conservées à la mairie de Burgos, avec des restes récupérés d'Allemagne. Quand je vous dis qu'ils ont voyagé*! On en a retrouvé en France, en République Tchèque et même en Pologne.

         L'acte solennel auquel j'ai réellement assisté a été le transfert de ces ossements le 21 juillet 1921. C'était à l'occasion du 7ème centenaire de notre chère cathédrale, je m'en souviens parfaitement. Même moi, j'ai été impressionné par le défilé des autorités religieuses, civiles et militaires en présence du roi Alphonse XIII et de la reine Victoria. Un événement avec une mise en scène digne d’un opéra de Verdi. Orchestrée et menée avec fanfare. Et pourtant, j'en ai vu, des célébrations! Impressionné n'est peut-être pas le mot juste. Disons plutôt que j'étais ému. L'idée que l'ensemble de la cathédrale serve de mausolée à ce grand personnage me touche encore aujourd'hui. Ceci explique la simplicité de la dalle funéraire en marbre rouge qui se situe sous la coupole du transept, au cœur du temple gothique. Bien sûr, il devait occuper une place de privilège dans la cathédrale. Bien que par la taille de sa tombe, on dirait qu’elle garde en plus de ses restes réduits, ceux de son fidèle cheval.

         La longue errance de ces dépouilles mortelles me laisse songeur. Aura-t-il finalement atteint la paix éternelle dans sa dernière demeure? Ou s’agira-t-il tout simplement d’une étape dans son parcours errant? Pourquoi certains humains ne respectent-ils rien?

    (8rB remercie Annette et JJA)

    * Pour en savoir plus, voici un excellent livre sur la question : Los huesos del Cid y Jimena. Expolios y destierros de Leyre Barriocanal Fernández et Ana Fernández Beobide (Diputación de Burgos, 2013)


  • Les pestiférés

         Simples mortels,

         Ces derniers jours, des pèlerins d'une drôle d’allure et aux traits asiatiques, m'ont rendu visite dans la cathédrale. J'ai remarqué avec surprise que certains d'entre eux portaient un masque médical couvrant leurs visages. Et ce n'était pas exactement le masque propre du carnaval. Il va de soi que je suis au courant du problème actuel de l'épidémie de coronavirus. Donc, avec ces nouvelles, des souvenirs terribles des fléaux du passé me sont venus à l’esprit. Et les images de vieux épisodes de jadis que je pensais oubliées se sont réveillées dans ma tête.

         Depuis les années les plus sombres du Moyen Âge jusqu'au XVIIème siècle, la peste a été le compagnon de voyage inséparable de notre histoire. En ces temps lointains, plusieurs épidémies ont frappé constamment la cité de Burgos, provoquant des conséquences catastrophiques sur la société. On m’a raconté la dévastation pendant la fin du XIVème siècle, or je me souviens parfaitement des maladies endémiques qui ont eu lieu tout au long du XVIème siècle, réduisant considérablement la population, et plus récemment, celle du choléra du XIXème siècle ainsi que de la grippe appelée espagnole de 1918.

         Il y a deux dates où la ville a été touchée par des épidémies de peste noire avec une force très virulente, 1565 et 1599. Après cela, la ville reste plongée dans la mort, la peur, la paralysie et donc, la désolation. La peste de 1565 est très bien documentée par les manuscrits du conseiller municipal de Burgos, Andrés de Cañas, et par ceux du notaire royal Juan de Osuna qui mène une enquête après l'épidémie.

         Dans ce cas de 1565, il y a une première phase où, malgré les premières victimes détectées en mars, la Mairie nie la reconnaissance de la gravité de la maladie. En avril, tous les patients sont accueillis ensemble à l'Hôpital de la Conception. En mai et pendant l'été, il y a une forte mortalité dans la ville, et on embauche plus de médecins. Burgos souffre alors d'une grande dépopulation. En décembre, le maire déclare la ville saine, et à Noël, la cité et les rues sont nettoyées. Une fois la maladie disparue, la cathédrale est désinfectée avec l’arrosage d'eau vinaigrée dans tous les coins et grâce à la fumée de grandes quantités de plantes aromatiques. Sacrebleu! Ceux d'entre nous qui avions survécus à la peste sommes presque morts étouffés avec ces fichus traitements!

         La vérité est que ce problème ne peut pas être traité avec frivolité.

         Il faut comprendre que si, aujourd'hui, avec les progrès de la médecine et de la communication, et avec les bonnes habitudes de nutrition et d'hygiène, une pandémie est une calamité, au Moyen Âge avec l’ignorance générale, les superstitions, avec une pauvreté et une insalubrité généralisées, cela a été une véritable dévastation.

         En outre, cette situation s'accompagne d'une nouvelle épidémie aussi contagieuse que la peste. La pire. La peur. Et un pas derrière elle, qu'est-ce qui arrive en courant? La panique. Et puis, à ce moment-là, les trompettes de l'apocalypse commencent à se faire entendre.

         À l’époque, les maladies n'avaient aucune explication scientifique. La peste était une punition divine méritée à cause des péchés commis par les humains. Elle était comprise comme un fléau biblique. Par conséquent, la calamité était combattue avec les concentrations des gens pour élever leurs prières vers le ciel, la confession des fidèles, la procession des pénitents aux pieds nus, et les recettes de boissons miraculeuses. Et surtout c’était accepté avec une grande résignation. De nos jours, nous savons que tout cela a favorisé la contagion.

         La situation a été enregistrée avec soin dans la documentation conservée dans les Archives de la Cathédrale. Compte tenu de la fréquence des épidémies, on a établi des normes qui ont été appliquées chaque fois que la maladie était déclarée. Le Statut de Peste était la procédure à suivre en cas d'alerte.

         Parmi les mesures à prendre figurait non seulement la recommandation de quitter la ville vers les communes les plus proches mais aussi la fermeture de la ville fortifiée. Naturellement, cela n'était à la portée que des classes sociales les plus privilégiées, la noblesse, les commerçants ou les artisans. L'évêque et quelques membres du clergé pouvaient quitter la ville et se réfugier dans des couvents voisins. Cette fuite laissait la cathédrale et les églises presque sans surveillance et sans célébrations religieuses. Tout était réglé comme du papier à musique avec le roulement des curés et des sanctions pour indiscipline.

         La population la plus humble avait le rôle de tomber comme des mouches. Le manque de nourriture et d'hygiène, le recyclage des vêtements et des couvertures des victimes, l'ignorance des normes sanitaires, ont favorisé une diffusion de la maladie.

         Bref, les conséquences : la paralysie de l'activité commerciale, le manque de travail, la famine, le dépeuplement, la dévastation. Le bilan de l'épidémie de 1565, un paysage effrayant et une perte démographique de 10.000 personnes.

         Une autre répercussion de la peste a été la disparition des médecins et des chirurgiens, et des moines de la compagnie de Jésus, les jésuites, qui ont aidé les pestiférés d’une façon très engagée.

         C'était une autre époque! Cependant, il existe un certain parallélisme entre la peste et la pandémie actuelle de coronavirus. Les épidémies, dans l’antiquité et aussi maintenant, ont des retombées sociales et économiques terribles. Cela modifie le comportement et les relations, les déplacements, le travail, la consommation,… et même la façon de se saluer.

         Le titre de ce billet, Les pestiférés, provient d’un très intéressant récit de Marcel Pagnol qui fait partie du bouquin Le temps des amours, et que je suis en train de relire, poussé par la recherche de lumière dans cette obscurité de l'épidémie de coronavirus. Lisez ceci : “Quand il en meurt beaucoup, on dit que c’est la peste, et ceux qui restent meurent de peur.” Ce qui est confirmé ensuite : “Ce n’était pas la peste qui avait chassé les paysans, c’était la peur.” Je vous recommande vivement de lire cette œuvre. L'histoire et la littérature se révèlent toujours riches d'enseignement.

         À cette occasion, ma foi, je vois bien que c’est un heureux atout d’être un personnage en bois, et donc immunisé contre les attaques de virus. Cependant, par ailleurs, je ne le suis pas contre les invasions des mites. Restons sur nos gardes sans céder à la panique. Nous ne manquons jamais d'ennemis ou de dangers autour de nous, n’est-ce pas?

    (8rB remercie JJA)


  • Le Cid et sa descendance française

         Oyez, oyez, braves gens,

         Bien des liens unissent les terres de Burgos à la France.

         Au cours de l’histoire, on peut trouver de nombreux rapports entre elles, notamment des collaborations commerciales, économiques, culturelles, artistiques et autres, qui nous rapprochent. Bien qu'il y ait également eu de graves différences ou des conflits. Cela ne peut pas être ignoré. En fin de compte, il s’agit de la relation normale entre voisins. Mais bon, soyons positifs, malgré tout, les points communs étant plus importants que les divergences.

         Et plongé dans les eaux de l'histoire, j’ai trouvé un lien de sang particulier.

         Je vous parlerai un jour plus longuement du brave chevalier médiéval Rodrigo Díaz, Le Cid, né à Vivar (par la suite appelé del Cid), l'un des personnages les plus célèbres que cette terre ait donné, un batailleur épique, mythifié et glorifié. C'est un incontournable de ces chroniques du Gobe-mouches. Mais dans l'immédiat, je souhaiterais vous instruire sur sa descendance.

         En effet, si vous regardez de près son arbre généalogique, vous découvrirez que l'un de ses arrière-arrière-arrière-arrière-petits-enfants n'est autre qu'un roi de France! Ça vous laisse pantois, n'est-ce pas? Eh oui, croyez-moi, Louis IX, appelé aussi Saint Louis, qui a régné pendant 43 ans (ce n'est pas une bagatelle!) sur le royaume de France au XIIIème siècle, était l'un des fils de Louis VIII et de Blanche de Castille, une descendante du Cid et de son épouse Chimène.

         Il est vrai que bien d'autres mariages ont créé des liens politiques et culturels entre l'Espagne et la France. Toutefois, je tiens à souligner qu'il s'agit ici d'un personnage historique dont les ossements, ou ce qu'il en restait, ont été transférés sous nos pieds, dans notre chère cathédrale, il n'y a pas si longtemps. Oui, bon, il y a 98 ans.

         Moi, cela me laisse songeur. Du sang burgalais a coulé dans les veines de la royauté française. Je me plais à penser que notre terroir a contribué à la grandeur de nos beaux pays! Ne m'en veuillez pas d'admirer ces nobles souverains.

         Cependant, cela ne m'empêche pas de saluer tous les milliards de couples anonymes qui ont contribué également à rapprocher ces deux nations. Peut-être, modestement, avec leur comportement aimable et amical, ils ont amélioré cette convivialité entre voisins, bien plus que les contrats commerciaux et tant de personnages célèbres et renommés. Ils ont été plus efficaces que le légendaire Cid Campeador, plus que Sa Gracieuse Majesté le roi Louis IX avec son héroïque sang castillan, plus que Richelieu ou que Montesquieu, plus que Charles de Gaulle, plus que Christine Lagarde, et bien plus que l'empereur Napoléon lui-même. Les personnes inconnues construisent l’histoire aussi, n’est-ce pas ?

    (8rB remercie Laura et JJA)


  • Icare bâtisseur et la chance du Phénix

            Habitants de ce bas monde,

          L’une des questions que j’ai pu constater au fil des siècles est qu’en général tous les bâtiments construits, en plus d’avoir une première fonction de base, ont d’autres objectifs secondaires plus subtils. Et dans certains cas, c'est extrêmement important. Les puissants promoteurs visent avec leur immeuble à démontrer leur puissance. Ils cherchent à obtenir ainsi une preuve tangible devant tout le monde de leur pouvoir politique, économique, technique, et même religieux. Plus ils sont puissants, plus grande est leur obsession de parvenir à cet objectif et plus vif est leur plaisir de se vanter de l'atteindre. Et pour cela, ils sont entourés des meilleurs techniciens, artistes et artisans, des plus précieux matériaux et des techniques les plus avancées. Ceux-ci, de la même façon, avec une grande confiance dans la technologie, adorent défier les lois de la physique, recherchent l'innovation et aspirent à marquer un événement historique. Eh ben, vous les humains, votre comportement est compliqué à comprendre !

          Nous pouvons le vérifier dans d'innombrables bâtiments, monuments et œuvres d'art à travers l'histoire. Encore plus dans une cathédrale, avec ses connotations spirituelles, c'est-à-dire le fait de souligner non seulement le pouvoir de la religion, mais aussi l'image divine sur la terre et la quête de la permanence dans le temps de l'édifice destiné à durer des siècles afin de perpétuer l'immortalité de ses auteurs. Les bâtisseurs cherchent à susciter différentes émotions telles que la surprise, l'admiration, la fierté, le ravissement devant la beauté,...

           Et pour cela, tous les moyens disponibles sont utilisés à cette fin, même en essayant d’atteindre la limite tout en recherchant la nouveauté, en s’approchant jusqu’au bout du possible. Bref, une compétition avec le connu ou le possible.

           Tout cela est une réflexion qui me vient à l’esprit, liée à une catastrophe qui s’est passée dans cette cathédrale il y a 480 ans et qui se produit parfois dans d’autres édifices monumentaux. Hélas, c'est une autre histoire dramatique. Malheureusement, j’insiste, l’histoire est pleine de chagrins et par contre nous trouvons peu de joies. Il reste à déterminer dans quelle mesure il s’agit d’un terrible accident ou plutôt d’une tentative infructueuse de recherche de l’impossible, de risque ou d’un défi aux lois de la physique.

           Pendant la nuit du 3 au 4 mars 1539, s’est produit l’inattendu effondrement de la voûte du transept de notre cathédrale, entraînant avec elle une bonne partie des voûtes, des murs et des piliers proches, et causant de graves dommages au bâtiment. Et aussi bien sûr occasionnant un grand vacarme qui a réveillé toute la ville. Ça alors ! Ce sont mes amies les gargouilles qui me l'ont raconté car je n'étais pas encore installé en cette belle demeure. C'était la tour que l'évêque Luis de Acuña, à la fin du XVème siècle, avait ordonné de construire pour remplacer la voûte simple qui existait jusque-là. Il avait confié le projet à Jean et Simon de Cologne, qui avaient érigé une tour haute et puissante d'une grande beauté, comme le racontent les chroniqueurs. La tour devait être magnifique, fine et élancée, la fierté de tout le royaume. Bientôt, des symptômes de surcharge avaient apparu dans les piliers. La fierté de son mécène, des constructeurs et de la population en général n’a duré que 50 ans.

           Pour tout le monde, c'était incompréhensible, difficile à accepter dans un bâtiment qui symbolisait le pouvoir divin sur la terre. C’était une tragédie de la taille de l'énorme trou produit dans le toit de la nef de la cathédrale. Ce bijou était perdu pour toujours.

           Tout cela me rappelle un personnage célèbre de la mythologie de l'île de Crète, Icare, dont la fuite a été de courte durée. De fait, il était devenu étourdi dans son jeu, dans sa vanité, oubliant toute prudence, en dépit des avertissements de son père, Dédale, si bien qu'il s'est trop approché du soleil alors la cire avec laquelle ses ailes étaient collées a fondu et elles sont tombées. Par conséquent, Icare s'est précipité dans la mer.

           Mais revenons à nos moutons. Ou plutôt à notre cathédrale, au XVIème siècle. Immédiatement, le jour même de cette maudite catastrophe, les autorités ecclésiastiques, blessées dans leur orgueil, une fois les dommages constatés, se sont retroussées les manches pour que la reconstruction commence le plus tôt possible. La honte et le châtiment d'humilité étaient trop grands.

           L'évêché a sollicité les conseils des bâtisseurs les plus célèbres à l'époque, de Felipe de Vigarny, ainsi que la collaboration de Diego de Siloé et de Rodrigo Gil, et enfin, avec un projet de Juan de Vallejo, la reconstruction de la voûte du transept a commencé. Il s’agissait à nouveau d’une solution architecturale hardie. Grâce à la générosité ainsi qu'à l'enthousiasme des autorités civiles et religieuses, mais également des gens ordinaires, la construction de l'un des plus beaux trésors de la Renaissance espagnole a été érigé en quelques années. Elle s'est effectuée à un rythme frénétique, mais en mesurant prudemment chaque pas, pour s'achever officiellement en décembre 1568. Sûrement, le résultat est plus somptueux que le transept original.

            En reprenant les exemples de la mythologie grecque, nous pouvons dire que, dans ce cas, le Phénix a pu renaître de ses cendres avec une plus grande splendeur. Quand Icare devient bâtisseur, c’est la chance du Phénix. L’effondrement d'une tour, un terrible malheur, a permis la réalisation d'une merveilleuse œuvre d’art.

            Si nous n'avions pas subi cet accident, nous ne pourrions pas aujourd'hui profiter de notre joyau architectural. Et qui sait, je me demande, notre cathédrale serait-elle considérée comme un site du patrimoine mondial par l'UNESCO? Ce cas, pourrait-il servir d'exemple à d'autres bâtiments ayant subi des événements catastrophiques? Le Phénix pourrait-il bientôt passer par ces lieux? Et Icare, est-ce qu’il est en train de risquer sa vie actuellement quelque part dans le monde?

    (8rB remercie JJA)


  • Court mais intense

        Chers fidèles,

        Apparemment, le temps passe très lentement dans cette cathédrale. Il s’arrête presque. Depuis des siècles, rien n’a changé ici. Mais ce n’est pas tout à fait vrai : « Le temps passe, et il fait tourner la roue de la vie comme l’eau celle des moulins », écrivait Marcel Pagnol. 

        De mon emplacement, on entend le murmure des visiteurs. Comme j'ai l'ouïe très fine, j'écoute toutes les conversations des gens. Je peux vous dire que la plupart sont d'une banalité à pleurer. Les indifférents et les fâcheux ne m'intéressent pas, cela va de soi. Il y a un frémissement qui habituellement m’endort.

        Mais certains spécimens humains me semblent dignes d'intérêt. Par leur attitude et leurs paroles, ces simples mortels sortent du lot en exprimant l'admiration, la ferveur, l'humilité, la sérénité que suscite notre majestueuse cathédrale. Par ailleurs, ce lieu extraordinaire inspire également des pensées profondes.

        L'autre jour, notamment, un homme expliquait à son ami la différence entre le nécessaire et le contingent. C’est-à-dire, entre ce qui nous échappe, ce qui ne peut pas être autrement, et ce qui aurait pu ne pas exister, ce qui dépend de nous pour se produire ou pour continuer à exister.

        Voyez-vous, je ne détiens pas la recette du bonheur, trop compliquée en raison du grand nombre d'ingrédients qui participent à sa préparation (la liberté, la volonté, le hasard,…), cependant je considère que la prise de conscience de ces deux concepts opposés et leur application au quotidien rendent la perception de l'existence plus légère.

        Dans l’ancienne mythologie grecque, le dieu Chronos était la personnification du temps, et guidait sagement l'ordre de l'univers tout entier. Écoutez quelqu'un comme moi, son humble disciple, qui s’occupe modestement avec sa cloche de rappeler aux gens le temps qui passe et qui peut réfléchir entre chaque coup pour sortir de l’ennui.

        De fait, je suis convaincu que c'est la conception du temps par les humains qui les martyrise. Je les vois bien s'agiter comme de minuscules fourmis écrasées sous le poids de leurs responsabilités. Que d'affolement pour pas grand-chose! Que d'énergie gaspillée!

        De l'eau a coulé sous les ponts depuis que j'ai été hissé près des voûtes de la cathédrale. J’ai bien écouté son clapotement faire tourner la roue des moulins et s'écraser contre les piliers en pierre des ponts.

        Que de fois ai-je entendu dire "Je n'ai pas vu le temps passer"... Croyez-moi, le temps ne passe ni vite, ni lentement. Il s'écoule, seconde après seconde, inexorablement. Le temps est nécessaire, notre manière de l'occuper, contingente.

        Ce n'est pas un message original, je sais, le même conseil a été répété tout au long de l'histoire de la pensée, de l'art et de la littérature. À vous de faire vos choix et de les assumer pleinement. Acceptez mes conseils. J'ai déjà donné de nombreuses preuves d'avoir la tête sur mes épaules. Ne vous laissez pas emporter inconsciemment par le courant de l'eau. Évitez la procrastination. Ne laissez pas votre perception du temps gâcher votre présent. Si bref.

        « Passe, passe le temps, il n’y en a plus pour très longtemps » chantait Georges Moustaki.

        Carpe diem. N'est-ce pas?

    (8rB remercie JJA)


  • Quel mariage grandiose!

           Chers amis,

         Bon! Je l’avoue. J'adore les célébrations de mariage. Absolument tout le monde paraît respirer le bonheur. Chaque année, je vois des centaines de couples d’amoureux passer sous mon regard, pleins de satisfaction, d’enthousiasme et surtout pleins d’amour mutuel, avançant lentement et cérémonieusement vers l’autel, tous souriants, radieux et remplis d'espoir pour l'avenir. Ils sont toujours accompagnés des personnes les plus chères qui contribuent à cet éloge du bonheur partagé. Ces milliers d'invités défilent sous mes pieds, portant fièrement leurs plus beaux vêtements et bijoux. C'est un spectacle magnifique. Tout le public tombe sous le charme ensorcelant de cette attirante cérémonie.

         Mais le plus éclatant des mariages célébrés dans cette cathédrale a été celui qui a uni le prince Jean d’Aragon, fils des Rois Catholiques, et donc héritier de leurs respectives couronnes, avec la jeune princesse Marguerite d’Autriche, fille de l’empereur germanique Maximilien Ier. Cela s'est passé le 3 avril 1497. Malheureusement, je n’ai pas pu assister à la noce, mais quand j’ai emménagé dans mon carillon plusieurs années plus tard, les échos de cette magnifique union résonnaient encore dans cet endroit. Dans les faits, ce sont mes voisins du dessous, surtout une tête de diable qui est bavarde comme une pie, qui m'ont tout raconté dans les moindres détails. Bref, c'est comme si j'y avais été!

         Selon leur projet d'alliances avec les royaumes des alentours, dans le cadre de ce jeu d'échecs entre territoires, les Rois Catholiques ont cherché la stratégie la plus fructueuse afin d'unifier les différents domaines sous la couronne familiale unique. Et les mariages de leurs enfants étaient un outil pour atteindre leurs objectifs. C'était une affaire d'État. Ainsi, ils ont convenu un double mariage : d'un côté, de leur héritier d'un empire en y ajoutant les territoires du nouveau monde, le prince Jean d’Aragon qui épouserait Marguerite d'Autriche. Et d’un autre côté, leur fille Jeanne avec Philippe d’Autriche, appelé populairement Philippe le Beau. Les protagonistes avaient peu à dire. Ils devaient seulement accepter le plan prévu.

        Tout devait être à la hauteur d'une célébration historique d'une telle importance. Pour les Rois Catholiques et leur cour, cela  serait l'occasion de démontrer leur grandeur devant le monde. L'austérité et l'humilité des Rois ne les empêchaient pas de jeter l’argent par les fenêtres. Cela faisait partie de l'objectif recherché. Ce n'était pas gaspiller le trésor, mais bien au contraire, il s’agissait d’un investissement avantageux. C’était une bonne affaire.

         À ce moment-là, chacune des parties concernées avait sa raison d'être satisfaite. En effet, les fiancés, même sans se connaître auparavant, ignorant toutes les manigances qui planaient sur eux, semblaient apparemment être tombés amoureux au premier coup d'œil, victimes d’un véritable coup de foudre.

  • Au coeur des flammes

            Chers visiteurs,

            Vous ne le savez peut-être pas, mais les flammes de Notre-Dame de Paris ont remué un douloureux souvenir en moi. Il y a exactement 375 ans, j'ai vécu la plus grande frayeur de ma vie. Eh oui, de l'eau a coulé sous les ponts de l'Arlanzón, mais je m'en souviens comme si c'était hier! J'étais un jeunot à l'époque, insouciant et rêveur. Bon, qu'est-ce que je raconte?! Il ne s'agit pas de moi… Revenons à nos moutons!

            Vers deux heures du matin, le mercredi 20 juillet 1644, une terrible odeur de brûlé et une épaisse fumée noire m'ont brusquement tiré de mon sommeil. Moi, bien que troublé et ensuqué, j'ai compris en un clin d'œil de quoi il retournait. Le transept était en feu! Quelle horreur! Gardant mon calme, j'ai donné un coup de coude à mon collègue Martinillo qui ne s'était pas encore aperçu de la catastrophe. Paniqué, il s'est mis à frapper de toutes ses forces sur sa clochette pour appeler des secours. Hélas en vain. Le son aigu ne parvenait pas aux oreilles d'un sauveur potentiel. Nos vernis commençaient à fondre. Nous étions perdus. Ni moi ni la moindre gargouille ne pouvions prendre nos jambes à notre cou! Nous étions condamnés à disparaître sous les décombres de notre cathédrale chérie, ou à partir en fumée si le feu nous attrapait avant que tout ne s'écroule sur nous. Le fracas des chutes de tableaux étouffaient nos lamentations. Toutes les statues, en bois ou en pierre, peu importe, tremblaient comme une feuille. Nous nous sentions tellement vulnérables, tout à coup! Nous qui avions été créés pour traverser les siècles!...

            Soudain, le vacarme de nos amies les cloches nous ont rassurés quelque peu en mettant toute la ville en branle-bas de combat. Nous avons appris par la suite que c'était Francisco de la Peña, un brave maraîcher du proche Monastère de Las Huelgas, qui avait donné l'alarme. À cause de la canicule, il avait passé une nuit blanche. Las de se retourner dans son lit trempé de sueur, par hasard ou par inspiration divine, il s'était levé et venait de sortir de chez lui dans l'espoir de trouver un peu de fraîcheur sur le pas de sa porte. À peine était-il assis sur son banc qu'une lueur inhabituelle dans les ténèbres avait attiré son attention au-delà de la rivière. C'est alors qu'il avait plissé les yeux pour concentrer son attention sur cette forme rougeâtre au loin. Non, il n'avait pas la berlue! Des flammes sinistres s'échappaient du toit du transept! Mon Dieu ! La cathédrale était en train de brûler! Ni une ni deux, il avait couru prévenir le chanoine qu'il connaissait. Ensuite, tout s'est enchaîné en un tour de main. Le sonneur de cloches ne s'est pas fait prier pour donner l'alerte.

            Malgré les énormes difficultés pour acheminer de l'eau à une telle hauteur, grâce à l’adresse et au courage des braves voisins, l'incendie a été heureusement maîtrisé avant l'aube. Nous l'avions échappé belle! Une procession de gratitude s'est spontanément déroulée dans le cloître. Nous regardions toute cette foule d'un œil particulièrement bienveillant. En tendant l'oreille, j'ai su que le sinistre était attribué au feu mal éteint que les ouvriers avaient laissé la veille. En effet, nous avions subi de graves dommages lors du passage d'un ouragan épouvantable deux ans auparavant, c'est pourquoi notre cathédrale avait fait l'objet d'importants travaux qui venaient tout juste de s'achever. Les échafaudages allaient être démontés pendant la journée de ce fameux mercredi. Si je ne m'abuse, Notre-Dame de Paris était en pleine restauration également au moment du drame récent. Le parallélisme des deux cathédrales est impressionnant dans de nombreux aspects.

            Pour sa part, Monsieur de la Peña a reçu de notre chapitre une belle récompense bien méritée. Grâce à son zèle, le pire avait été évité donc tout le monde a approuvé qu'il reçoive une pension à vie. Or, il est bien dommage qu'aucune rue ou place de la ville ne lui rende hommage. Nous lui devons une fière chandelle, tout de même! Mais voyons, placée prudemment, bon Dieu !

    (8rB remercie Annette et JJA)


  • Vis ta vie

    Bonjour,

              J'ignore comment ce chenapan a franchi l'entrée de notre cathédrale. Vous, chers lecteurs, vous l'appelleriez plutôt un sale petit con. Le concept étant clair comme de l'eau de roche, nous n'allons pas chipoter sur les mots. Vous allez vite saisir la gravité de la situation.

              Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j'aperçus un drôle d'oiseau débouler sous mes yeux à toute allure pas plus tard que ce matin. Quel était ce mystère? Que lui procurait cette vitesse endiablée? En aiguisant ma vue, je distinguai une trottinette électrique. Cet hurluberlu venait de forcer le passage de l'accueil pour se faire un selfie dans ce lieu sacré à bord de son engin infernal! Quel toupet monstrueux! De braves gens le mirent à la porte sans ménagement après avoir effacé la photo du délit sur son portable. 

              Cela se passa en un clin d'œil, raison pour laquelle je n'eus pas le loisir de dire à ce chenapan : "Vis ta vie, mais loin d'ici!".


  • La cathédrale ensanglantée

      Chers humains,

      Comme vous pouvez l'imaginer, de ma tour de garde, sur le carillon de la nef de la cathédrale, j'ai été le témoin privilégié de toute sorte d'événements au cours des siècles. Parmi les épisodes qui ont eu lieu dans ce temple, le plus effrayant sans aucun doute est le meurtre du gouverneur civil de Burgos aux mains d'une foule enragée. C'était épouvantable ! Et fort déplorable!

      Au fil du temps, qu'ont fait les autorités? Eh bien, elles ont étouffé l'affaire. C'est d'autant plus fâcheux qu'elles ont ainsi enterré non seulement ces faits regrettables mais aussi la responsabilité des coupables, la honte qui en découle et la mémoire des victimes (car, oui, il y en a eu plusieurs).

      Voyez-vous, on dit que nous sommes condamnés à répéter l'histoire tant que nous ne l'apprendrons pas. Alors, il faut mettre en lumière cet épisode honteux que nous avons tous contribué à cacher.

      Par respect pour toute sorte de pensées, il est vrai que je préfèrerais ne pas avoir à parler de politique ou de religion, mais dans ce cas, c’est inévitable.

      Tout s'est passé il y a cent cinquante ans. Exactement le 25 janvier 1869. Il s'agissait de temps de changements radicaux. Une période turbulente. Le nouveau gouvernement libéral, qui avait succédé au règne d'Isabel II, a  publié le 1er janvier un décret ministériel visant à faire discrètement l'inventaire des biens artistiques de l'Église et à les mettre à la disposition de l'État. Comme conséquence directe, pendant plusieurs jours, différents secteurs conservateurs ont semé la zizanie contre ce gouvernement républicain et laïc.

      Le gouverneur civil de Burgos, M. Isidoro Gutiérrez de Castro a été chargé de la mise en œuvre de cette tâche. Cela est arrivé aux oreilles de la hiérarchie ecclésiastique, qui n'allait pas faciliter le travail aux autorités civiles, loin de là. Ce représentant politique était un homme cultivé, passionné d'histoire, avec des compétences linguistiques, qui avait vécu dans plusieurs pays européens, donc par là même idéaliste et ouvert d'esprit. C'est-à-dire, un libre penseur.

      Évidemment, il faisait très froid ce matin-là, comme il se doit un jour d'hiver à Burgos. Alors que l’esprit de certains fanatiques exaltés était très échauffé ! Une masse bruyante bouillonnait aux portes de la cathédrale, tandis que le chapitre attisait le feu de la cohue énervée, préparée pour la bagarre, en attendant la commission du gouverneur pour l’empêcher dans sa tâche.

      Et dans ce bordel hurlant, les fonctionnaires responsables ont été reçus de façon très hostile. Lorsque les trois représentants civils sont entrés dans le cloître pour commencer leur travail, la foule, traînée par le vent de sa folie, a également réussi à y pénétrer. Le gouverneur n'a trouvé aucune protection à l'intérieur, entre les murs sacrés. Et au milieu du chaos, il a été frappé et blessé par ce troupeau sauvage qui l'a battu, piétiné, traîné mourant à l’extérieur, et enfin, assassiné à la porte du Sarmental.

      Mais je vais vous épargner les détails macabres de ce massacre.

      C'est une page douloureuse de l'histoire de la ville.

      Tout de suite, on est passé de la stupeur à la condamnation générale de cet attentat. Et bientôt, les eaux ont repris leur cours naturel et l'ordre a été rétabli. Chaque institution a fait ses devoirs. Appelant à la paix sociale, les autorités locales et gouvernementales ont évité les problèmes d'ordre public. Des manifestations populaires de rejet de ces actes de violence ont eu lieu à Madrid. La presse nationale et internationale s'est fait écho des nouvelles. La mairie a publié, quelques jours après, une proclamation demandant le calme à la population. Les forces de la sécurité ont arrêté les suspects les plus humbles. Très vite, la justice a condamné les plus faibles.

      Pour sortir du pétrin, l'archevêché a fermé le temple et a calmé l’esprit des plus exaltés. L'Église a intercédé pour rassurer son troupeau. Et même le bon Dieu a été invoqué avec l'acte de purification de la sacrée cathédrale qui s'est célébré le 20 mars en présence de toutes les autorités civiles et religieuses pour rouvrir le temple au culte.

      C'est donc avec la participation de tous ces pouvoirs civils et religieux, terrestres et célestes, une aide divine inestimable, qu'il a été réalisé.

      De la sorte, le complot a été transformé en un tumulte spontané. L’événement a été réduit à un triste épisode du passé.

      Moi, je ressens une certaine empathie pour M. Gutiérrez de Castro, un homme aussi idéaliste, engagé avec ses idéaux, aussi rêveur… qu'ingénu (un peu, quand même). De la même façon que notre historien se félicitait d'avoir déjà passé les étapes du fanatisme des guerres religieuses, quand il a fait ses études sur l’Angleterre du VIIe siècle, il est très probable que vous, une société avec une démocratie établie, vous pensez que cette violence est déjà surmontée depuis longtemps, n’est-ce pas?

      Un siècle et demi après cet événement sanglant, votre monde a beaucoup changé. D'une manière générale, vous êtes une société plus civilisée, ouverte et tolérante, démocratique, laïque, où règnent le respect de la loi ainsi que la convivialité, et où l'on jouit d'une plus grande paix sociale. Sûrement, vous êtes tous totalement convaincus que cela ne pourrait pas arriver de nos jours. Aujourd'hui, c’est inconcevable.

      Cependant… Pourquoi y a-t-il quelque chose qui me tracasse encore?

    (8rB remercie JJA)


  • Ce cher Hugo

         Mes amis,

         J'ai peu de défauts, mais certainement pas celui de la mythomanie! Pour prouver mes dires, je vais vous citer une biographie du grand homme qui a été écrite par son épouse Adèle Foucher, à Guernesey en 1863, en étroite collaboration avec Hugo lui-même, mais elle a été ensuite remaniée et censurée par leur fils Charles et par le poète Auguste Vacquerie. L'ouvrage s'intitule Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie. Voici un extrait du chapitre XVIII :

    "À Burgos, le bonheur des enfants fut d’abord la cathédrale. Du plus loin qu’ils la virent, ils furent fascinés par l’abondance touffue de son architecture qui accumule les clochetons comme les épis d’une gerbe. À peine arrivés, il fallut la visiter. L’intérieur n’a pas cette prodigalité tumultueuse du dehors qui semble la fête de la pierre ; la richesse y est sérieuse et presque austère ; c’est la majesté après la joie. Les trois frères, Victor surtout, admiraient également ces deux caractères de la cathédrale ; ils ne se lassaient pas de regarder les vitraux, les tableaux, les colonnes ; comme Victor avait le nez en l’air, une porte s’ouvrit dans le mur, un bonhomme bizarrement accoutré, une espèce de figure fantastique, bouffonne et difforme, se montra, fit un signe de croix, frappa trois coups, et disparut.

          Victor, ébahi, regarda longtemps la porte refermée.

          — Señorito mio, lui dit le donneur d’eau bénite qui leur servait de cicérone, es papamoscas. (Mon petit seigneur, c’est le gobe-mouches.)

          Le gobe-mouches était la poupée à ressort d’une horloge. Les trois coups frappés voulaient dire qu’il était trois heures.

          Le donneur d’eau bénite expliqua aux enfants pourquoi la poupée s’appelait le gobe-mouches ; mais Victor n’entendit pas sa légende, tant il était encore ému de cette imposante cathédrale qui mêlait brusquement cette caricature à ses statues de pierre et qui faisait dire l’heure aux saints par Polichinelle.

          La cathédrale n’en restait pas moins sévère et grande. Cette fantaisie de l’église solennelle retraversa plus d’une fois la pensée de l’auteur de la Préface de Cromwell et l’aida à comprendre qu’on pouvait introduire le grotesque dans le tragique sans diminuer la gravité du drame."

         J'avoue que la mention de Polichinelle m'a fortement agacé la première fois que j'ai lu ce texte. Me comparer à un personnage de la commedia dell'arte! Un fourbe et un menteur! Ventru et au nez crochu! Moi, une caricature grotesque? Bah voyons! Il est vrai que le petit Victor n'avait que onze ans à ce moment-là. À cause des quinze mètres qui me séparent du sol et de son imagination débordante, me voilà affublé d'un aspect de bouffon difforme. D'autres prétendent que l'auteur de Notre-Dame de Paris s'est inspiré de moi pour son personnage de Quasimodo. Je ne suis pourtant pas bossu, cela saute aux yeux, non?

         Mais il faut être indulgent avec le regard que portent sur nous les enfants… Surtout s'ils sont célèbres. Si le petit Victor a voulu m'enlaidir pour me rendre à tout jamais immortel dans l'une des plus grandes œuvres de la littérature universelle, je n'en reste pas moins le personnage extraordinaire qui l'a inspiré, n'est-ce pas? Même, je lui suis reconnaissant pour cela. Au fait... Est-ce que tous ceux qui me contemplent savent vraiment à qui ils ont affaire?

    (8rB remercie Annette et JJA)

    Francois emile loizeau portrait de victor hugo jeune

    Portrait de Victor Hugo par François Émile Loizeau