Ce cher Hugo
- Par 8r-b
- Le 04/04/2019
- Dans Le Gobe-mouches
Mes amis,
J'ai peu de défauts, mais certainement pas celui de la mythomanie! Pour prouver mes dires, je vais vous citer une biographie du grand homme qui a été écrite par son épouse Adèle Foucher, à Guernesey en 1863, en étroite collaboration avec Hugo lui-même, mais elle a été ensuite remaniée et censurée par leur fils Charles et par le poète Auguste Vacquerie. L'ouvrage s'intitule Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie. Voici un extrait du chapitre XVIII :
"À Burgos, le bonheur des enfants fut d’abord la cathédrale. Du plus loin qu’ils la virent, ils furent fascinés par l’abondance touffue de son architecture qui accumule les clochetons comme les épis d’une gerbe. À peine arrivés, il fallut la visiter. L’intérieur n’a pas cette prodigalité tumultueuse du dehors qui semble la fête de la pierre ; la richesse y est sérieuse et presque austère ; c’est la majesté après la joie. Les trois frères, Victor surtout, admiraient également ces deux caractères de la cathédrale ; ils ne se lassaient pas de regarder les vitraux, les tableaux, les colonnes ; comme Victor avait le nez en l’air, une porte s’ouvrit dans le mur, un bonhomme bizarrement accoutré, une espèce de figure fantastique, bouffonne et difforme, se montra, fit un signe de croix, frappa trois coups, et disparut.
Victor, ébahi, regarda longtemps la porte refermée.
— Señorito mio, lui dit le donneur d’eau bénite qui leur servait de cicérone, es papamoscas. (Mon petit seigneur, c’est le gobe-mouches.)
Le gobe-mouches était la poupée à ressort d’une horloge. Les trois coups frappés voulaient dire qu’il était trois heures.
Le donneur d’eau bénite expliqua aux enfants pourquoi la poupée s’appelait le gobe-mouches ; mais Victor n’entendit pas sa légende, tant il était encore ému de cette imposante cathédrale qui mêlait brusquement cette caricature à ses statues de pierre et qui faisait dire l’heure aux saints par Polichinelle.
La cathédrale n’en restait pas moins sévère et grande. Cette fantaisie de l’église solennelle retraversa plus d’une fois la pensée de l’auteur de la Préface de Cromwell et l’aida à comprendre qu’on pouvait introduire le grotesque dans le tragique sans diminuer la gravité du drame."
J'avoue que la mention de Polichinelle m'a fortement agacé la première fois que j'ai lu ce texte. Me comparer à un personnage de la commedia dell'arte! Un fourbe et un menteur! Ventru et au nez crochu! Moi, une caricature grotesque? Bah voyons! Il est vrai que le petit Victor n'avait que onze ans à ce moment-là. À cause des quinze mètres qui me séparent du sol et de son imagination débordante, me voilà affublé d'un aspect de bouffon difforme. D'autres prétendent que l'auteur de Notre-Dame de Paris s'est inspiré de moi pour son personnage de Quasimodo. Je ne suis pourtant pas bossu, cela saute aux yeux, non?
Mais il faut être indulgent avec le regard que portent sur nous les enfants… Surtout s'ils sont célèbres. Si le petit Victor a voulu m'enlaidir pour me rendre à tout jamais immortel dans l'une des plus grandes œuvres de la littérature universelle, je n'en reste pas moins le personnage extraordinaire qui l'a inspiré, n'est-ce pas? Même, je lui suis reconnaissant pour cela. Au fait... Est-ce que tous ceux qui me contemplent savent vraiment à qui ils ont affaire?
(8rB remercie Annette et JJA)
Portrait de Victor Hugo par François Émile Loizeau