Quel mariage grandiose!

       Chers amis,

     Bon! Je l’avoue. J'adore les célébrations de mariage. Absolument tout le monde paraît respirer le bonheur. Chaque année, je vois des centaines de couples d’amoureux passer sous mon regard, pleins de satisfaction, d’enthousiasme et surtout pleins d’amour mutuel, avançant lentement et cérémonieusement vers l’autel, tous souriants, radieux et remplis d'espoir pour l'avenir. Ils sont toujours accompagnés des personnes les plus chères qui contribuent à cet éloge du bonheur partagé. Ces milliers d'invités défilent sous mes pieds, portant fièrement leurs plus beaux vêtements et bijoux. C'est un spectacle magnifique. Tout le public tombe sous le charme ensorcelant de cette attirante cérémonie.

     Mais le plus éclatant des mariages célébrés dans cette cathédrale a été celui qui a uni le prince Jean d’Aragon, fils des Rois Catholiques, et donc héritier de leurs respectives couronnes, avec la jeune princesse Marguerite d’Autriche, fille de l’empereur germanique Maximilien Ier. Cela s'est passé le 3 avril 1497. Malheureusement, je n’ai pas pu assister à la noce, mais quand j’ai emménagé dans mon carillon plusieurs années plus tard, les échos de cette magnifique union résonnaient encore dans cet endroit. Dans les faits, ce sont mes voisins du dessous, surtout une tête de diable qui est bavarde comme une pie, qui m'ont tout raconté dans les moindres détails. Bref, c'est comme si j'y avais été!

     Selon leur projet d'alliances avec les royaumes des alentours, dans le cadre de ce jeu d'échecs entre territoires, les Rois Catholiques ont cherché la stratégie la plus fructueuse afin d'unifier les différents domaines sous la couronne familiale unique. Et les mariages de leurs enfants étaient un outil pour atteindre leurs objectifs. C'était une affaire d'État. Ainsi, ils ont convenu un double mariage : d'un côté, de leur héritier d'un empire en y ajoutant les territoires du nouveau monde, le prince Jean d’Aragon qui épouserait Marguerite d'Autriche. Et d’un autre côté, leur fille Jeanne avec Philippe d’Autriche, appelé populairement Philippe le Beau. Les protagonistes avaient peu à dire. Ils devaient seulement accepter le plan prévu.

    Tout devait être à la hauteur d'une célébration historique d'une telle importance. Pour les Rois Catholiques et leur cour, cela  serait l'occasion de démontrer leur grandeur devant le monde. L'austérité et l'humilité des Rois ne les empêchaient pas de jeter l’argent par les fenêtres. Cela faisait partie de l'objectif recherché. Ce n'était pas gaspiller le trésor, mais bien au contraire, il s’agissait d’un investissement avantageux. C’était une bonne affaire.

     À ce moment-là, chacune des parties concernées avait sa raison d'être satisfaite. En effet, les fiancés, même sans se connaître auparavant, ignorant toutes les manigances qui planaient sur eux, semblaient apparemment être tombés amoureux au premier coup d'œil, victimes d’un véritable coup de foudre.

Le roi Ferdinand aimait voir ses projets d'unité et d'extension de ses royaumes se réaliser. Il était ravi de voir naître un nouvel empire. La reine Isabelle était quant à elle contente d'imaginer atteindre une période de paix et de prospérité sur ses territoires.

     La partie religieuse se trouvait très dignement représentée à la présidence de la cérémonie par le puissant cardinal Cisneros, surnommé le troisième roi, rien que cela, accompagné de hauts représentants du pape de Rome, évêques du royaume, abbés des grands monastères et multitude de joyeux moines. Tous se montraient très satisfaits de l'occasion pour consolider la foi au sein des royaumes catholiques.

     En outre, s’ajoute à la célébration la présence d'une multitude de nobles, de comtes, d’ambassadeurs, de juges et de riches marchands, certains venus de très loin, qui se faisaient remarquer en montrant leur puissance, et de centaines de braves chevaliers et de soldats qui aspiraient à être admis à la cour. Et une foule de demoiselles d'honneur, de prétentieux courtisans, tous avec leurs domestiques, fiers de montrer leur influence.

     La scène serait la plus belle cathédrale de l’époque, décorée pour l’occasion, ornée d'étendards et de drapeaux, de boucliers, et des plus belles draperies avec des coloris chatoyants. Tout était bien assorti à des ornements floraux qui apporteraient des arômes printaniers. Et d’innombrables bougies pour illuminer tous les coins et éliminer toute sorte d’ombre. Sans oublier un grand déploiement des cloches annonçant la noce.

     Les meilleurs musiciens, artisans, fournisseurs, marchands, d'adroits tailleurs et chausseurs, de minutieux bijoutiers, de remarquables cuisiniers de la cour, et j'en passe, assistaient au mariage. Tous étaient ravis de démontrer leurs compétences. On se demandait les plus merveilleux tableaux et tapisseries, les plus exquis tissus, les fruits les plus exotiques, les meilleurs parfums,… Tous venaient des quatre coins du monde. Tous les ingrédients pour satisfaire les cinq sens étaient au rendez-vous. Les gens ordinaires en profitaient et s'amusaient à regarder, de leur humble réalité, celle si rutilante de leurs maîtres. Même les pauvres ont eu leur part du gâteau avec une distribution de pain (eh non, sans autres friandises).

     La ville était envahie depuis plusieurs jours par les courtisans avec leurs entourages, plongée dans le glamour. Toute une scène de bonheur et de joie pendant les fêtes qui ont duré plusieurs jours. On assistait au triomphe du bonheur!

     Pouvez-vous imaginer les majestueuses festivités de ce mariage de futurs empereurs? Quel serait aujourd’hui l’impact de l’événement sur les médias?

     Avec le temps, ma foi, la vie a beaucoup changé. Cependant, les mariages conservent encore cette attraction qui fascine le public. C’est un spectacle hypnotique, vous ne trouvez pas? Nous aimons nous approcher des gens heureux. Nous sommes attirés par le bonheur des autres, comme par les contes avec une fin heureuse, n’est-ce pas?

     En cette occasion aussi gaie, personne ne pouvait imaginer les horribles tragédies qui attendaient en cachette très bientôt. Mais c'est comme cela que l'histoire est construite.

     Comme Marcel Pagnol l'écrit dans le dernier chapitre du Château de ma mère : “Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins”. Tous ceux qui ont plus de 500 ans le savent bien…

(8rB remercie JJA)