Les pestiférés

     Simples mortels,

     Ces derniers jours, des pèlerins d'une drôle d’allure et aux traits asiatiques, m'ont rendu visite dans la cathédrale. J'ai remarqué avec surprise que certains d'entre eux portaient un masque médical couvrant leurs visages. Et ce n'était pas exactement le masque propre du carnaval. Il va de soi que je suis au courant du problème actuel de l'épidémie de coronavirus. Donc, avec ces nouvelles, des souvenirs terribles des fléaux du passé me sont venus à l’esprit. Et les images de vieux épisodes de jadis que je pensais oubliées se sont réveillées dans ma tête.

     Depuis les années les plus sombres du Moyen Âge jusqu'au XVIIème siècle, la peste a été le compagnon de voyage inséparable de notre histoire. En ces temps lointains, plusieurs épidémies ont frappé constamment la cité de Burgos, provoquant des conséquences catastrophiques sur la société. On m’a raconté la dévastation pendant la fin du XIVème siècle, or je me souviens parfaitement des maladies endémiques qui ont eu lieu tout au long du XVIème siècle, réduisant considérablement la population, et plus récemment, celle du choléra du XIXème siècle ainsi que de la grippe appelée espagnole de 1918.

     Il y a deux dates où la ville a été touchée par des épidémies de peste noire avec une force très virulente, 1565 et 1599. Après cela, la ville reste plongée dans la mort, la peur, la paralysie et donc, la désolation. La peste de 1565 est très bien documentée par les manuscrits du conseiller municipal de Burgos, Andrés de Cañas, et par ceux du notaire royal Juan de Osuna qui mène une enquête après l'épidémie.

     Dans ce cas de 1565, il y a une première phase où, malgré les premières victimes détectées en mars, la Mairie nie la reconnaissance de la gravité de la maladie. En avril, tous les patients sont accueillis ensemble à l'Hôpital de la Conception. En mai et pendant l'été, il y a une forte mortalité dans la ville, et on embauche plus de médecins. Burgos souffre alors d'une grande dépopulation. En décembre, le maire déclare la ville saine, et à Noël, la cité et les rues sont nettoyées. Une fois la maladie disparue, la cathédrale est désinfectée avec l’arrosage d'eau vinaigrée dans tous les coins et grâce à la fumée de grandes quantités de plantes aromatiques. Sacrebleu! Ceux d'entre nous qui avions survécus à la peste sommes presque morts étouffés avec ces fichus traitements!

     La vérité est que ce problème ne peut pas être traité avec frivolité.

     Il faut comprendre que si, aujourd'hui, avec les progrès de la médecine et de la communication, et avec les bonnes habitudes de nutrition et d'hygiène, une pandémie est une calamité, au Moyen Âge avec l’ignorance générale, les superstitions, avec une pauvreté et une insalubrité généralisées, cela a été une véritable dévastation.

     En outre, cette situation s'accompagne d'une nouvelle épidémie aussi contagieuse que la peste. La pire. La peur. Et un pas derrière elle, qu'est-ce qui arrive en courant? La panique. Et puis, à ce moment-là, les trompettes de l'apocalypse commencent à se faire entendre.

     À l’époque, les maladies n'avaient aucune explication scientifique. La peste était une punition divine méritée à cause des péchés commis par les humains. Elle était comprise comme un fléau biblique. Par conséquent, la calamité était combattue avec les concentrations des gens pour élever leurs prières vers le ciel, la confession des fidèles, la procession des pénitents aux pieds nus, et les recettes de boissons miraculeuses. Et surtout c’était accepté avec une grande résignation. De nos jours, nous savons que tout cela a favorisé la contagion.

     La situation a été enregistrée avec soin dans la documentation conservée dans les Archives de la Cathédrale. Compte tenu de la fréquence des épidémies, on a établi des normes qui ont été appliquées chaque fois que la maladie était déclarée. Le Statut de Peste était la procédure à suivre en cas d'alerte.

     Parmi les mesures à prendre figurait non seulement la recommandation de quitter la ville vers les communes les plus proches mais aussi la fermeture de la ville fortifiée. Naturellement, cela n'était à la portée que des classes sociales les plus privilégiées, la noblesse, les commerçants ou les artisans. L'évêque et quelques membres du clergé pouvaient quitter la ville et se réfugier dans des couvents voisins. Cette fuite laissait la cathédrale et les églises presque sans surveillance et sans célébrations religieuses. Tout était réglé comme du papier à musique avec le roulement des curés et des sanctions pour indiscipline.

     La population la plus humble avait le rôle de tomber comme des mouches. Le manque de nourriture et d'hygiène, le recyclage des vêtements et des couvertures des victimes, l'ignorance des normes sanitaires, ont favorisé une diffusion de la maladie.

     Bref, les conséquences : la paralysie de l'activité commerciale, le manque de travail, la famine, le dépeuplement, la dévastation. Le bilan de l'épidémie de 1565, un paysage effrayant et une perte démographique de 10.000 personnes.

     Une autre répercussion de la peste a été la disparition des médecins et des chirurgiens, et des moines de la compagnie de Jésus, les jésuites, qui ont aidé les pestiférés d’une façon très engagée.

     C'était une autre époque! Cependant, il existe un certain parallélisme entre la peste et la pandémie actuelle de coronavirus. Les épidémies, dans l’antiquité et aussi maintenant, ont des retombées sociales et économiques terribles. Cela modifie le comportement et les relations, les déplacements, le travail, la consommation,… et même la façon de se saluer.

     Le titre de ce billet, Les pestiférés, provient d’un très intéressant récit de Marcel Pagnol qui fait partie du bouquin Le temps des amours, et que je suis en train de relire, poussé par la recherche de lumière dans cette obscurité de l'épidémie de coronavirus. Lisez ceci : “Quand il en meurt beaucoup, on dit que c’est la peste, et ceux qui restent meurent de peur.” Ce qui est confirmé ensuite : “Ce n’était pas la peste qui avait chassé les paysans, c’était la peur.” Je vous recommande vivement de lire cette œuvre. L'histoire et la littérature se révèlent toujours riches d'enseignement.

     À cette occasion, ma foi, je vois bien que c’est un heureux atout d’être un personnage en bois, et donc immunisé contre les attaques de virus. Cependant, par ailleurs, je ne le suis pas contre les invasions des mites. Restons sur nos gardes sans céder à la panique. Nous ne manquons jamais d'ennemis ou de dangers autour de nous, n’est-ce pas?

(8rB remercie JJA)