Interview d'Aliénor
- Votre Majesté est née en Normandie, si je ne m'abuse.
- Oui, au château de Domfront, mais il n'en reste que des ruines.
- Vous portez le prénom de votre mère, Aliénor d'Aquitaine.
- Ce n'est un mystère pour personne. Elle repose à l'abbaye de Fontevraud, près de Saumur, paix à son âme.
- Fille du roi d'Angleterre Henri II de Plantagenêt, d'emblée vous étiez vouée à une destinée remarquable!
- Sans aucun doute. Dans nos familles de noble lignée, les mariages arrangés nous propulsent sur la scène internationale. C'est ainsi que j'ai été mariée à l'âge de huit ans à Alphonse VIII.
- Votre dot comportait divers territoires au-delà des Pyrénées.
- En plus du duché d'Aquitaine, j'apportais le comté de Gascogne, en effet. Mais Alphonse n'a jamais réussi à obtenir ce dernier, sous prétexte qu'aucun document n'appuyait ses prétentions. Il a envahi le comté en 1205 pour finalement y renoncer trois ans plus tard. Vous savez, pléthore de litiges de cet ordre ont secoué l'histoire de nos royaumes.
- Vous êtes particulièrement attachée à Burgos, n'est-ce pas?
- Sous bien des angles, cette ville a une valeur inestimable à mes yeux. Elle constitue un point stratégique en Castille. En 1180, la même année où Alphonse et moi avons réussi à marier notre fille Bérengère, ou Berenguela en espagnol, à Alphonse IX de Léon, nous avons décidé de fonder un monastère féminin de l'ordre cistercien à Burgos.
- Oui, le monastère de Santa María Real de las Huelgas. N'avez-vous donc pas choisi Burgos pour des raisons sentimentales?
- Ne m'interrompez pas à tout bout de champ!
- Pardon, Majesté.
- Le choix de cette ville n'est pas uniquement lié à la politique ou à la religion, détrompez-vous. Il est indéniable qu'elle nous tient à cœur. Nous avons même décrété que Las Huelgas serait notre panthéon royal, comme Fontevraud pour les Plantagenêt en France. En outre, je tenais absolument à ce que ce monastère permette aux femmes d'atteindre un niveau de responsabilité aussi élevé que les hommes, dans le cadre de la vie monastique, cela va de soi. Vous semblez oublier les autres projets que le Roi de Castille et moi-même avons réalisés ici : le pont Malatos et surtout l'Hôpital du roi, le plus célèbre du Chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Vous avez la mémoire bien courte, je trouve.
- Mais non, je vous prie de croire que…
- Je vois bien que vous vous méprenez sur mon compte. Je ne suis pas une reine froide et calculatrice. Mes dix enfants peuvent vous le confirmer. Je leur ai procuré une excellente éducation, indépendamment de leur condition d'homme ou de femme. J'ai veillé à leurs mariages fructueux. J'ai mentionné Bérengère, or j'ai donné le jour à d'autres monarques : Henri Ier de Castille, Urraque avec Alphonse II de Portugal, Blanche avec Louis VIII de France, Aliénor avec Jacques Ier d'Aragon, cela vous parle? Henri a une santé fragile, je vous l'accorde, mais mes filles iront loin, vous verrez. Comme leur grand-mère avant moi, elles sont douées pour commander, éduquer et promouvoir la culture sans relâche. Avez-vous quelque niaiserie à rétorquer?
- Non, Majesté. Votre tout dévoué serviteur vous remercie humblement.