Agadir

  Voici l'enregistrement de ce récit afin de l'écouter avant de le lire.

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Agadir

           Ton lieu de naissance : Nantes. Ton nom de famille : marocain. Les aléas de la vie, tu connais. Ton patronyme aurait pu être mauritanien comme celui de ta mère ou bien français comme celui de l'homme dont elle est tombée amoureuse à 17 ans. 

          Tu n'as pas connu le déracinement, tes parents non plus. Tes grands-parents paternels ont débarqué à Marseille avec leur progéniture quelques mois après avoir tout perdu dans le tremblement de terre de 1960 qui a détruit la kasbah d'Agadir. Ton père est né à Rodez trois ans plus tard. Ta mère a vu le jour en Mauritanie, mais ses parents ont émigré en France quand elle était encore bébé. Même si elle n'a jamais remis les pieds sur la terre de ses ancêtres, elle t'a transmis les recettes familiales, telles que le "banafé", un ragoût aux oignons marinés. Tantôt elle opte pour le couscous mauritanien, tantôt pour celui marocain. Mais le plus souvent, elle concocte des plats d'inspirations très diverses. De toute façon, la cuisine, ce n'est pas ton truc. Mais si tu ne dois en citer qu'un, ton plat préféré est le ceviche d'espadon.

          C'est ta grand-mère paternelle, toujours fourrée dans ses bouquins, qui t'a appris que le nom  du "Maroc" vient de "Marrakech", la capitale des Almoravides fondée au XIème siècle. Or, l'un de tes cousins, jamais sorti de son trou, soutient qu'il découle de l'arabe "al-Maghrib", qui signifie "pays du couchant". Tu ne sais pas qui a raison donc, pour la paix dans la famille, tu as décidé que c'était un mélange des deux origines. Tu n'es pas linguiste alors tu ne vas pas te prendre la tête.

          Parfois, tu as le cul entre deux chaises. Mais c'est uniquement à cause du regard des autres. Quand tu passes tes vacances à Agadir, rien qu'en ouvrant la bouche, tout le monde sait que tu vis en France. Et pourtant, tu t'appliques à bien parler. Dans les rues nantaises, depuis ton adolescence, tu ne comptes plus le nombre de fois où les flics ont contrôlé tes papiers. À ta copine Magali, avec ses taches de rousseur et sa peau blanche, ça ne lui est jamais arrivé. Comme par hasard. Tu as compris que tu ne devais plus sortir sans ta carte d'identité, voilà tout. Ce n'est pas la mer à boire. Que les autres te collent l'étiquette d'étranger, où que tu ailles, ça t'est égal. Toi, tu te sens bien dans tes baskets, que ce soit sur une plage marocaine ou sur les bords de la Loire.

          Le soir, au creux de ton lit, tu te balades dans le souk El Had. Ou au milieu des gratte-ciel de Kyoto. Le nom d'Agadir te fait rêver, mais tu ne voudrais pas y vivre. Parfois les racines sont des entraves. Ton copain Étienne t'a tellement parlé de son voyage au Japon que c'est là que tu aimerais mettre les voiles…

(8rB remercie Ali)